Inéligibilité à vie des élus condamnés pour des faits graves de corruption : constitutionnalité ou inconstitutionnalité ?

Inéligibilité à vie des élus condamnés pour des faits graves de corruption : constitutionnalité ou inconstitutionnalité ?

Question écrite n° 67990 de M. Christophe Premat (Socialiste, républicain et citoyen – Français établis hors de France) – JO, 4 novembre 2014, 9224.

M. Christophe Premat attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l’inéligibilité à vie des élus condamnés pour des faits graves de corruption. Le Conseil constitutionnel ayant censuré en 2010 l’article L. 7 du code électoral qui prévoyait une inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour des délits financiers, il existe des doutes quant à la compatibilité de l’inéligibilité à vie avec la Constitution et la Déclaration européenne des droits de l’Homme. Il semble que seule l’automaticité de cette peine serait contraire aux droits fondamentaux, au nom du principe fondamental de l’individualisation des peines. Par ailleurs, toute peine prononcée à vie doit toutefois pouvoir faire l’objet d’une procédure de réhabilitation ou de modification. Au Danemark par exemple, une personne qui a été jugée coupable pour un « acte considéré comme indigne par le public » ne peut être élue au Parlement. Il aimerait avoir son sentiment sur le fait de donner la possibilité aux juges de pouvoir prononcer une inéligibilité à vie pour les malversations les plus graves. Cette possibilité est indispensable pour restaurer la confiance de nos concitoyens à l’égard des institutions et lutter efficacement contre les faits de corruption les plus graves.

Réponse de la ministre de la justice, garde des sceaux – JO, 11 août 2015, p. 6190.

Depuis le 1er mars 1994, la condamnation pénale d’un élu n’entraîne plus automatiquement son inéligibilité. La juridiction doit en effet assortir la condamnation de la peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, civils et de famille prévue par l’article 131-26 du code pénal qui peut être prononcée à titre de peine complémentaire de certaines infractions. La peine complémentaire d’inéligibilité est notamment prévue pour les faits de corruption, de trafic d’influence, de favoritisme, de détournement de fonds publics, de prise illégale d’intérêt et de pantouflage. L’interdiction de ces droits porte notamment sur le droit de vote et/ou d’éligibilité. La juridiction peut prononcer l’interdiction de tout ou partie de ces droits. L’interdiction ne peut en principe excéder une durée de 10 ans pour un crime et 5 ans pour un délit. Le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique présenté par le gouvernement évoquait une peine d’inéligibilité définitive « en cas d’infraction portant atteinte à la moralité publique, comme la corruption ou le trafic d’influence, la fraude électorale ou la fraude fiscale ». Cette dernière proposition n’a finalement pas été retenue dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui a porté la peine d’inéligibilité maximale à dix ans quelle que soit l’infraction commise, à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits (article 131-26-1 du code pénal). Plus largement, il convient de noter que l’inéligibilité ne résulte pas toujours d’une condamnation pénale, le code électoral prévoyant un certain nombre de cas dans lesquels l’inéligibilité est prononcée en cas de manquement aux règles qu’il prévoit. Ainsi en cas de fraude électorale, peut être prononcée une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à trois ans (article LO128 du Code électoral). Sur l’opportunité de créer une peine d’inéligibilité définitive, le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion à ce jour de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une telle peine. Dans une décision rendue le 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a certes censuré l’article L.7 du code électoral (qui imposait la radiation des listes électorales des personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public lorsqu’elles commettaient certaines infractions) estimant qu’il portait atteinte à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires »), mais, en l’espèce, c’est le caractère automatique de la sanction prévue par ce texte qui a été censuré, le conseil estimant que seul le juge pouvait décider l’incapacité ou non pour un élu d’exercer un mandat public. Il n’est donc pas possible à ce jour de déterminer la position qu’adopterait le Conseil constitutionnel à l’égard d’une disposition légale qui instituerait une peine d’inéligibilité définitive, notamment au regard du principe de proportionnalité de la peine à la gravité du délit commis, et ce quand bien même il serait préservé la possibilité de relèvement de la peine.

13 août 2015