Interceptions de correspondances émises par voie de télécommunications ordonnées par un juge d’instruction et perquisitions :

Interceptions de correspondances émises par voie de télécommunications ordonnées par un juge d’instruction et perquisitions : différence substantielle (Crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457).

Sommaire

Seules les correspondances postérieures à la décision du juge d’instruction de faire intercepter des communications émises par la voie des télécommunications peuvent être appréhendées, enregistrées interceptées et transcrites. Les correspondances antérieures à cette décision ne peuvent être appréhendées, enregistrées et transcrites qu’à la faveur d’une perquisition.

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 100, 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

“en ce que la chambre de l’instruction a rejeté la requête en annulation des interceptions, enregistrements et transcriptions des données contenues dans sa boîte mail, présentée par le demandeur ;

“aux motifs que sur l’absence de disposition légale permettant d’effectuer des investigations concernant une adresse mail : l’article 100 du code de procédure pénale permet au juge d’instruction de prescrire en matière criminelle et en matière correctionnelle si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications ; que le courrier électronique échangé entre un expéditeur et une ou plusieurs personnes en ce qu’il s’agit d’un message à caractère personnel exclusivement dédié à son ou ses destinataires répond à la définition d’une correspondance ; que l’article L. 32 du code des postes et communications électroniques définit les communications électroniques comme "toute transmission. émission ou réception de signes, signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques", la notion de télécommunications étant aujourd’hui abandonnée ; que les dispositions tant de l’article 100-1, que 100-3 du code de procédure pénale spécifient tant la nécessité d’identifier la liaison à intercepter sans la limiter à une liaison téléphonique, que la possibilité de requérir toute personne qualifiée pour installer le dispositif d’interception ; que dès lors entrent bien dans le champ d’application de l’article 100 du code de procédure pénale , aux fins d’obtenir la preuve d’infractions et l’identification de leurs auteurs, les interceptions de communications émises ou reçues par internet, mesures de surcroît ordonnées par une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et limitées dans le temps ; que, sur la régularité de la retranscription de correspondances antérieures à la commission rogatoire, le juge d’instruction a délivrée le 11 mars 2013, une commission rogatoire aux fins de permettre "l’interception, l’enregistrement, et la transcription des courriers électroniques émis ou reçus sur l’adresse mail […] ; qu’en exécution de celle-ci, les enquêteurs ont reçu communication non seulement des communications émises ou reçues à compter du 11 mars mais également de celles qui se trouvaient à cette date archivées sur la boîte mail correspondante, que procès-verbal a été dressé de ces communications, les éléments étant ensuite exploités ; que si la notion d’interception vise des communications en cours d’échange elle se définit également comme le fait de s’emparer de ce qui est envoyé à quelqu’un, que le libellé de la commission rogatoire n’interdit nullement que soient exploités les éléments archivés sur la boîte mail à la date du 11 mars 2013, ces éléments répondant à la définition de courriers électroniques reçus à la date de délivrance de la commission rogatoire, l’intéressé n’ayant pas estimé nécessaire de "vider" la boîte de messages reçus ; que de surcroît si un détenu dispose du droit de correspondre librement avec toute personne de son choix, cette correspondance doit répondre à des conditions de forme destinées à permettre le cas échéant son contrôle ; (R57-8-16 et suivants du code de procédure pénale) que le contrôle d’une correspondance par voie électronique (internet) effectuée par le biais d’une clef 3G introduite frauduleusement en détention et dont la finalité est la commission d’infractions pénales ne constitue pas une atteinte au respect de la vie privée de ce détenu ni au secret de ses correspondances ; que bien que les éléments recueillis dans le cadre de l’exécution de la commission rogatoire fassent grief à M. X… et pour les motifs susvisés ; que sa requête en nullité sera rejetée ;

“1°) alors que les dispositions des articles 100 et suivants du code de procédure pénale encadrent exclusivement l’« interception » de correspondances à venir pendant une période donnée, de sorte qu’une décision du juge d’instruction prise sur ce fondement n’autorise pas la saisie de l’ensemble des messages stockés dans une boite de messagerie électronique ; qu’en l’espèce, le 11 mars 2013, le juge d’instruction a donné commission rogatoire aux enquêteurs d’’intercepter les mails échangés via la boîte de messagerie électronique du demandeur pendant une durée de trois mois ; qu’en considérant, pour valider l’exploitation par les policiers de l’ensemble des mails déjà présents sur cette boîte à cette date, que la notion d’interception se définit comme « le fait de s’emparer de ce qui est envoyé à quelqu’un » et « n’interdit nullement que soient exploités les éléments archivés sur la boîte mail », la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée de la loi ;

“2°) alors qu’en tout état de cause, en vertu du second paragraphe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit reposer sur une base légale suffisamment accessible et prévisible ; que les articles 100 et suivants du code de procédure pénale, qui ne prévoient l’interception de messages que pour l’avenir, ne sauraient constituer une base légale suffisamment précise pour encadrer la saisie d’un stock de mails ; que la chambre de l’instruction ne pouvait, pour écarter le moyen tiré d’un défaut de base légale de l’ingérence litigieuse, se borner à considérer qu’un mail entre dans le champ des « correspondances » visées à l’article 100 du code de procédure pénale ; qu’en effet, une intrusion dans une boite de messagerie électronique, susceptible de conduire à la récupération de données stockées, nécessite un encadrement particulier que n’assurent pas les dispositions relatives à l’interception des correspondances” ;

Vu les articles 100 à 100-5 du code de procédure pénale ;

Attendu que n’entrent pas dans les prévisions de ces textes l’appréhension, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications antérieurement à la date de la décision écrite d’interception prise par le juge d’instruction, lesquels doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite d’un renseignement communiqué par le service de la douane judiciaire, dont l’exploitation révélait la commission de fraudes par l’utilisation de cartes bancaires contrefaites, imputables notamment au nommé X…, incarcéré au centre de détention de […], qui opérait à l’aide d’un matériel informatique clandestin, une information a été ouverte le 8 mars 2013 au tribunal de Marseille ; que le 11 mars 2013, le juge d’instruction a délivré au directeur de la police judiciaire une commission rogatoire, au visa des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, afin qu’il soit procédé à l’interception, l’enregistrement et la transcription des courriers électroniques émis ou reçus sur l’adresse utilisée lors des correspondances échangées par M. X… avec des tiers à partir de son lieu de détention ; que les enquêteurs ont directement recueilli l’ensemble des données contenues dans les fichiers de cette adresse, y compris celles stockées antérieurement à l’autorisation d’interception ;

Attendu que M. X…, mis en examen le 20 février 2014, a déposé une requête aux fins d’annulation des transcriptions des données antérieures à la délivrance de la commission rogatoire technique, en soutenant que les enquêteurs avaient outrepassé leur mission, cette exploitation des messages stockés sur sa boîte de courriels constituant une ingérence dans sa vie privée étrangère aux prévisions des articles 100 et suivants du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour rejeter la requête, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 17 décembre 2014, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Président : M. Guérin
Rapporteur : M. Montfort, conseiller
Avocat général : M. Lagauche
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Source : Cour de cassation

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