L’État doit-il être moral ? (ENA, 2015)

L’État doit-il être moral ? (ENA, 2015)

Sommaire

Tel a été le sujet de l’épreuve de « Question contemporaine » du concours d’entrée à l’ENA. Cette épreuve est une épreuve de culture générale mais limitée à des questions intéressant le rôle des pouvoirs publics et leurs rapports à la société. « Elle a pour but de mesurer la capacité des candidats à réfléchir sur le sens du service de l’État dans la société contemporaine et vise à apprécier l’aptitude de futurs hauts fonctionnaires à appréhender les enjeux et les finalités de l’action publique et du politique dans le gouvernement des sociétés ».

Introduction

→ En première approximation, l’on peut entendre par « État », l’ensemble des institutions politiques, administratives, voire privées, qui, au nom des intérêts collectifs de la Nation qu’elles représentent, exercent ce pouvoir de commandement unilatéral qu’il est convenu d’appeler la « puissance publique ».

Cette définition est à la fois large et restrictive :
─ elle est large parce que sous le concept d’État, elle intègre les organes et les autorités des collectivités locales, des démembrements de l’État, des groupements privés investis de prérogatives de puissance publique ;
─ elle est restrictive pour deux raisons :

  1. Elle se limite à la forme juridique et politique qu’est l’État en le distinguant de ses agents et des enjeux d’éthique professionnelle des serviteurs de l’État ;
  2. Elle se limite à celles des institutions étatiques ou para-étatiques investies de prérogatives de puissance publique, puisque par hypothèse, dans les cas où des institutions publiques agissent comme des particuliers, elles sont soumises à la « morale commune » définie par le droit civil, le droit pénal etc. Et pour cause, si l’on peut se demander si l’État doit être moral, c’est parce que l’on présuppose qu’il peut ne l’avoir pas été et peut ne pas l’être, compte tenu à la fois de sa qualité principielle de puissance souveraine et du pouvoir de commandement (puissance publique) qui en est le corollaire.

→ La question est donc en réalité celle de savoir si certaines propriétés de la puissance publique sont historiquement ou constitutivement incompatibles avec la morale (lesquelles ?) et si cette incompatibilité doit être dépassée.

La plus grande difficulté de la question est de savoir ce qu’il faut entendre par « moral », ce qu’est un acte ou une action moral(e). La morale désigne des idéaux supérieurs de Bien et de Justice. Or le fondement, la nature et la portée de ces idéaux sont « aléatoires » : les fondements peuvent être religieux (et variables entre les religions) ou laïques ; la nature et la portée des obligations ne sont pas moins relatifs, au point que des actes ou des actions « moraux » hier ne le sont plus aujourd’hui et que, inversement, des actes ou des actions « immoraux » hier sont devenus « moraux » plus tard.

Aussi, la question de savoir si l’État doit être moral ne peut être envisagée qu’à l’aune des idéaux supérieurs de Bien et de Justice contemporains, pour ainsi dire ceux des sociétés démocratiques et libérales.

→ Même sous cet aspect, la question a une multiple résonance avec des événements et des situations contemporains, aussi bien dans l’ordre interne que dans l’ordre international.

  1. Dans l’ordre interne, la moralité de l’État peut être contestée par exemple lorsque tels « grands travaux », notamment ceux qui nécessitent des expropriations, sont initiés sans que leur justification soit consensuelle, ou lorsque l’État autorise l’existence de champs OGM dont le principe même est controversé. Dans nombre de ces cas, le débat sur la « moralité » ou le défaut de « moralité » de l’État renvoie à la tension traditionnelle entre ce qui est légitime et ce qui est légal et au débat subséquent sur « le droit à la résistance à l’oppression », la « désobéissance civique » ou la « désobéissance civile »
  2. Dans l’ordre international, la moralité de l’État peut être contestée par ceux qui peuvent lui reprocher par exemple d’entretenir la « détérioration des termes de l’échange », d’être indifférent au « pillage des ressources des pays pauvres », de favoriser ou de ne pas contrarier « l’emprise des marchés financiers », de commettre des interventions militaires dont la justification ou les modalités ne sont pas consensuelles.

Plan :

I.- il y a des risques (pour l’État lui-même comme pour les citoyens) à abstraire l’action de l’État de tout jugement moral (I. L’impossibilité d’abstraire l’action de l’État de tout jugement moral)

→ Le jugement moral :

  1. a une fonction modératrice de l’usage par l’État de ses prérogatives, notamment les prérogatives de coercition (les actions policières – le droit pénal, les punitions étatiques, etc.) : cette modération est « codifiée » notamment dans les articles 2, 3, 4, 5, 6 de la CESDH et les protocoles relatifs à l’abolition de la peine de mort (protocoles n° 6 et n° 13).
  2. oblige l’État à ne pas perdre de vue le principe de justice dans son action : la « justice sociale » dans l’ordre interne, la « justice globale » dans l’ordre international.

II.- il est difficile de juger de l’action de l’État à l’aune unique de la morale (II. La difficulté de juger de l’action de l’État à l’aune unique de la morale).

→ L’action de l’État se juge aussi à l’aune :

  1. de principes d’ordre, voire de domination des sujets qui justifient la souveraineté interne ou externe de l’État (ces principes justifient l’existence, même dans ds sociétés démocratiques, d’un for intérieur minimal de l’Etat, qui échappe à la transparence : cf. le secret d’Etat, qui peut, sous certaines conditions, devenir un « mensonge d’Etat »…).
  2. de principes et des idéaux gestiologiques (la « bonne gouvernance »). Somme toute, ces idéaux gestiologiques peuvent avoir une texture ou un arrière-plan moral : la contestation contemporaine des politiques de déficits publics ou d’endettement public n’st pas seulement articulée à un idéal gestiologique, mais aussi à un idéal moral, soit l’idée de ne pas faire supporter à des générations futures les conséquences de décisions à la formation desquelles elles n’ont pas pris part.

Ou

I.- il est difficile de juger de l’action de l’État à l’aune unique de la morale (I. La difficulté de juger de l’action de l’État à l’aune unique de la morale)

→ L’action de l’État se juge aussi à l’aune :

  1. de principes d’ordre, voire de domination des sujets qui justifient la souveraineté interne ou externe de l’État (ces principes justifient l’existence, même dans ds sociétés démocratiques, d’un for intérieur minimal de l’Etat, qui échappe à la transparence : cf. le secret d’Etat, qui peut, sous certaines conditions, devenir un « mensonge d’Etat »).
  2. de principes et des idéaux gestiologiques (la « bonne gouvernance »). Somme toute, ces idéaux gestiologiques peuvent avoir une texture ou un arrière-plan moral : la contestation contemporaine des politiques de déficits publics ou d’endettement public n’st pas seulement articulée à un idéal gestiologique, mais aussi à un idéal moral, soit l’idée de ne pas faire supporter à des générations futures les conséquences de décisions à la formation desquelles elles n’ont pas pris part.

II.- il y a des risques (pour l’État lui-même comme pour les citoyens) à abstraire l’action de l’État de tout jugement moral (II. L’impossibilité d’abstraire l’action de l’État de tout jugement moral)

→ Le jugement moral :

  1. a une fonction modératrice de l’usage par l’État de ses prérogatives, notamment les prérogatives de coercition (les actions policières – le droit pénal, les punitions étatiques, etc.) : cette modération est « codifiée » notamment dans les articles 2, 3, 4, 5, 6 de la CESDH et les protocoles relatifs à l’abolition de la peine de mort (protocoles n° 6 et n° 13)
  2. oblige l’État à ne pas perdre de vue le principe moral de Justice dans son action : la « justice sociale » dans l’ordre interne, la « justice globale » dans l’ordre international.

Tag : entrées du "Dictionnaire encyclopédique de l’État" : Administration – Droit pénal – Justice - Neutralité éthique de l’État - Guerre - Justice globale - Justice sociale - Souveraineté interne - Transparence - Secret d’Etat.

0 Partages
Tweetez
Partagez
Partagez
Enregistrer