Pauvreté et droits fondamentaux. Le droit à l’eau

Pauvreté et droits fondamentaux. Le « droit à l’eau » s’oppose à toute coupure ou réduction d’eau dans une résidence principale (tribunal d’instance de Puteaux, ord., 15 janvier 2016, Mme B. c. Veolia Eau)

Sommaire

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Le Conseil constitutionnel a jugé que l’interdiction légale d’interrompre la distribution d’eau dans les résidences principales met en oeuvre l’OVC relatif à "la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent" et ne viole pas la liberté contractuelle, la liberté d’entreprendre ou l’égalité devant la loi ou les charges publiques (Cons. const. n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 - Société SAUR SAS).

La décision rapportée du tribunal d’instance de Puteaux est dans le prolongement de cette décision du Conseil constitutionnel qu’elle ne cite cependant pas.

Syllabus. Mme B., qui habite à Toulon, vit avec 761 euros par mois versés par Pôle Emploi et a un enfant de 24 ans à charge, a saisi le tribunal d’instance de Puteaux d’une assignation en référé dirigée contre la Société Veolia Eau après qu’elle a fait l’objet d’une « coupure d’eau » (« coupure de branchement en eau »). Sur le fondement des articles 848 et 849 du Code de procédure civile (*), elle demandait donc au tribunal : 1. de conclure que cette coupure d’eau constituait un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser ; 2. d’ordonner à Veolia le rétablissement du branchement en eau de Mme B. sous astreinte de 200 euros par jour de retard ; 3. de faire interdiction à l’entreprise de procéder à une nouvelle coupure d’eau contre la requérante pendant un délai de deux ans ; 4. de condamner Veolia Eau au titre de provision sur les dommages et intérêts.

I. En droit.

La requérante, qui à l’audience a plutôt fait valoir que Veolia Eau avait successivement procédé à une coupure du branchement en eau puis à une réduction du débit de l’eau, invoquait formellement :

  1. « une atteinte au droit à l’eau constituant un droit fondamental, les sociétés de fourniture d’eau ne pouvant procéder à l’interruption de fourniture du service pour une résidence principale même pour impayés ou dans le cadre d’une résiliation contractuelle, en application de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles ».
  2. une « violation du droit à un logement décent » tel qu’il est mis en œuvre notamment par l’article 3 (2) du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain :

« Le logement comporte les éléments d’équipement et de confort suivants :
(…)

  • Une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires ; (…) »

II. Le tribunal conclut :

  1. qu’il résulte « en tout état de cause » de l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles et de l’article 1er du décret du 23 août 2008 que « l’interruption de la fourniture d’eau est interdite pour une résidence principale en cas d’impayés, et ce toute l’année ».
  2. que, la mise en place d’une lentille de réduction du débit de l’eau par Veolia Eau « aboutit aux mêmes conséquences qu’une coupure d’alimentation de sorte que cette pratique doit être assimilée à une interruption de la fourniture d’eau » et, par suite, un « trouble manifestement illicite » du fait de sa violation de l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles.
  3. que, dans la mesure où Veolia Eau conteste la coupure d’eau constatée par le tribunal tout en ayant un « pouvoir discrétionnaire » pour procéder à une nouvelle coupure d’eau ou à une nouvelle réduction du débit, il y avait donc un « danger imminent » à prévenir au sens de l’article 849 du Code de procédure civile. Aussi le tribunal décide-t-il d’interdire à Veolia Eau de procéder à toute nouvelle coupure d’eau dans un délai de deux ans sous astreinte de 100 euros par jour de retard en cas de violation de cette interdiction.

III. Le tribunal accorde par ailleurs à titre provisionnel à Mme B. 4000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, compte tenu de ce que :

« Si les défenderesses soulèvent la mauvaise foi de Mme B., force est de constater qu’elles ne rapportent la preuve d’aucune attitude déloyale caractérisée de cette dernière, la bonne foi de Madame B. étant présumée. Plus encore, il convient de relever que Veolia a choisi de recourir à une réduction de service pour obtenir le recouvrement de sa créance plutôt que tout autre voie légale de recouvrement. »

Veolia Pauvrete Droits Fondamentaux

(*) Sur la grande importance des référés civils en matière de protection des libertés, voir nos développements dans Libertés et droits fondamentaux.

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